Entrée en vigueur à la rentrée 2019-2020, la réforme du lycée portée par Jean-Michel Blanquer offre ses premières tendances. Et elles sont alarmantes : moins de jeunes se tournent vers les maths et les sciences, aggravant les stéréotypes et les inégalités sociales et de genre.
Comment éviter que le monde du digital à l’horizon 2030 n’appartienne encore aux jeunes hommes blancs et bien nés ? La question agite le milieu de l’entreprise ainsi que les pouvoirs publics depuis de nombreuses années. Ces dernières décennies, d’importants efforts ont été faits pour sensibiliser les jeunes filles, notamment, aux métiers de la tech dès le collège et le lycée pour leur ouvrir les portes d’un univers qui promet un emploi stable et bien rémunéré. Si bien que les études réalisées depuis la seconde moitié des années 2010 laissaient entrevoir le début d’un mouvement positif : l’inclusion était en marche. C’est donc peu de dire que 2022 s’est ouverte sur une douche froide. Juste avant les fêtes, le ministère de l’Éducation nationale a publié des statistiques quant aux spécialités choisies par les élèves de Première et de Terminale concernés par la réforme du Baccalauréat. Et la conclusion est sans appel : non seulement la sous-représentation des filles dans les matières scientifiques se confirme, mais elle s’aggrave en ce qui concerne les mathématiques.
« On a perdu vingt ans d’efforts »
« On était arrivé à ce que le pourcentage de filles en Terminale S soit presque équivalent à celui des garçons. Avec la réforme, ce taux a dégringolé de 10 %, s’est désolé le mathématicien Jean-Pierre Bourguignon, vendredi 21 janvier au micro de France Inter. En deux années, on a perdu vingt ans d’efforts. » La réforme du baccalauréat a mis fin au système des grandes filières L, ES et S pour les remplacer par un tronc commun agrémenté de trois spécialités en classe de Première. En Terminale, les élèves doivent lâcher une de ces spécialités pour n’en garder que deux. Avant la réforme, les filles représentaient 48% des effectifs de la filière S en Terminale. Elles ne sont plus que 38%, deux ans plus tard, à suivre les cours de maths intensifs. Un chiffre au plus bas depuis 1995. « Certains ont en effet le réflexe de garder les deux spécialités dans lesquelles ils surperforment, et ce n’est pas toujours les maths », reconnaît Pierre Mathiot, l’inspirateur de la réforme du bac.
Jean-Pierre Bourguignon : "On était arrivés à ce que le pourcentage de filles en terminale S soit presque équivalent à celui des garçons. Avec la réforme, ce taux a dégringolé à 10%. En deux années, on a perdu vingt ans d'efforts." #le79Inter pic.twitter.com/1qoe33Thtk
— France Inter (@franceinter) January 21, 2022
Ainsi, sur l’ensemble des lycéens qui doit passer son bac à la fin de cette année (filles et garçons) la part d’élèves suivant la spécialité maths a plongé de 64 % à 37 % au passage en terminale. Un chiffre encore inférieur à la génération précédente (41 %). Un constat problématique en soi : moins de bacheliers matheux, cela signifie moins de potentiels étudiants pour les cursus scientifiques, d’ingénieurs et du numérique. Mais le détail de ces chiffres est encore plus pernicieux. En effet, les lycéens ne sont pas égaux devant l’abandon des maths en Terminale. « La réforme du lycée pénalise les filles et les classes sociales défavorisées », dénonce Laurence Broze, la vice-présidente de l’association Femmes et Mathématiques. Seulement une lycéenne sur quatre va passer le bac avec la spécialité maths, contre un lycéen sur deux. Les professeurs de mathématiques mettent en cause le niveau de la nouvelle spécialité, qu’ils estiment plus compliqué que le programme de maths de l’ancienne section S.
L’intérêt des filles pour le numérique nait à l’école
Car face à la difficulté tous les élèves ne sont pas égaux. Les jeunes issus de milieux défavorisés ont par exemple moins d’accès à des cours particuliers ou même tout simplement à une aide au sein de la cellule familiale. En ce qui concerne les filles, il ne faut pas négliger les stéréotypes de genre et l’autocensure. Quand bien même, ces dernières années, les lycéennes ont eu de meilleurs résultats que leurs homologues masculins dans les matières scientifiques (en 2019, par exemple, 35 % des bachelières ont eu le bac S avec au moins la mention Bien contre 29 % pour les bacheliers) elles doivent faire face à des blocages mentaux. La dernière version (2021) de l’étude bisannuelle de l’association Gender Scan, qui promeut la place des femmes dans le numérique, est à ce sujet aussi passionnante qu’effrayante. Les auteurs du rapport ont interrogé un nombre important d’étudiantes et d’étudiants qui suivent des parcours scientifiques et/ou dans le numérique dans le supérieur. Parmi les conclusions que l’on peut tirer : l’importance des professeurs et de l’École dans la décision des jeunes filles de suivre ce type d’études.
📉 La réforme du lycée de @jmblanquer a drastiquement diminué le nombre de filles choisissant la spécialité #Maths en terminale, par rapport à celles qui choisissaient la filière S avec l’ancien système > https://t.co/71X3LS4Jtv pic.twitter.com/Q2nqlaWMEY
— Libération (@libe) January 25, 2022
En effet, les garçons se passionnent en moyenne beaucoup plus tôt pour la technologie. À l’entrée au collège, ils sont déjà 56 % à s’intéresser aux sciences, contre à peine 41 % de filles. Ces dernières, au contraire, citent davantage les professeurs comme facteur d’influence dans leur choix d’études scientifiques (40 %, contre 36 % des garçons) mais également l’accès aux technologies à l’école, au collège et au lycée (29 %, contre 20 % pour les garçons). Le rôle d’accélérateur de l’école dans la vocation des jeunes filles est d’autant plus important que le cercle des proches (famille et amis) est plus enclin à soutenir les garçons dans leur volonté de poursuivre dans ces filières. Ainsi, près d’une étudiante interrogée sur deux indique avoir été découragée par ses proches quant à son orientation contre à peine un étudiant sur quatre. Et l’argument entendu le plus cité par ces jeunes femmes : « Ce n’est pas un métier de femmes »…
Pour atténuer les effets de ce mouvement néfaste, qui va priver, à moyen terme, le secteur du numérique français de main-d’œuvre, il est important d’aller rechercher les potentiels talents de manière proactive. Pour cela, il ne faut pas avoir peur de former à postériori des jeunes qui auraient lâché les maths au lycée faute de soutien. Pour travailler dans l’informatique et les nouvelles technologies, il n’est pas forcément nécessaire d’être une bête en math et en physique. Il n’est plus à prouver que ce n’est pas l’addition des cerveaux les plus brillants qui fait la meilleure équipe mais la diversité des profils. C’est pour cela que chez Human Experience, nous faisons le choix de sélectionner des jeunes issus de différents milieux, avec une grande place pour les jeunes femmes, et de les accompagner au sein d’entreprises respectées et leaders à des métiers de pointe. Contre un lycée élitiste et clivant, adoptons une politique inclusive de la deuxième chance.