Vus comme des supers soft-skills, les mad-skills font leur chemin depuis une poignée d’années dans la tête de recruteurs à la recherche de toujours plus de disruption. Mais l’essor des profils exceptionnels, parfois dits « déviants », ne doit pas se faire en dépit de l’équipe.
Savoir s’adapter, faire face à l’inconnu, continuer de performer dans l’adversité, accepter ses erreurs et celles des autres… Les soft-skills n’ont bien sûr pas attendu l’arrivée du Covid pour s’immiscer dans les conversations, mais la crise sanitaire aura été l’occasion de mesurer à quel point ces qualités sont devenues indispensables au bon fonctionnement d’une équipe, au développement d’une entreprise. Le principe de soft-skills, tout comme son parallèle les hard-skills, est connu. Venu de la Silicon Valley, il regroupe toutes les capacités qui ne sont pas techniques, c’est-à-dire les traits de personnalités : est-ce qu’une personne est plus ou moins à l’aise dans un groupe ; est-ce qu’elle est organisée et méthodique… Mais avec la démocratisation des soft-skills, il a bien fallu que des petits malins trouvent une nouvelle manière de se singulariser sur le marché de l’emploi. Leur arme : les mad-skills.
Au cœur de la guerre des talents
Sorte de super soft-skills, ces derniers sont des capacités plus rares, plus précises et donc supposées plus valorisantes. Par exemple, on se fiche bien de savoir si quelqu’un va à la salle de sport pour pouvoir frimer à la plage l’été, un peu comme tout le monde. Par contre, s’il court le marathon ou participe à des triathlons, cela montre une volonté de se surpasser et une abnégation au-dessus de la moyenne. « Plutôt que de dire que l’on a un peu de tous les soft-skills, il s’agit d’identifier et de promouvoir ses mad-skills, explique Caroline Briaucourt, coach de soft-skills chez Human Experience. C’est-à-dire de mettre en avant des qualités qui distinguent et rendent unique, d’utiliser ses centres d’intérêt pour montrer que l’on est quelqu’un d’exceptionnel et prouver que l’on se connaît soi-même. »
La différence fondamentale entre un mad-skill et le duo soft-skill/hard-skill, c’est que les qualités atypiques sont plus difficiles à maîtriser, voire à appréhender. On peut, par exemple, travailler ses capacités à l’oral, c’est un soft-skill. Mais certaines personnes sont naturellement solaires et charismatiques, forçant presque automatiquement la sympathie. « Ce type de compétences bonus ne s’apprend pas et c’est ce qui rend ces profils très précieux », précise Dany El Jallad, directeur du cabinet de recrutement Robert Half.
Depuis quelques années, et encore plus avec le besoin de relancer l’économie, ces profils d’un nouveau genre sont vus comme le summum d’un recrutement réussi. On les rencontre parfois sous le nom de profils « déviants », dans la mesure où ils sont supposés amener un point de vue singulier, une aspérité rare et nécessaire dans une équipe ou une entreprise. « (Ces dernières) ont besoin de ce type de salariés qui sortent du cadre conventionnel, estime, ainsi, Jean-Yves Matz, consultant pour l’APEC. Pour penser ‘out of the box’ (hors de sentiers battus, pourrait-on traduire), il faut avoir des ressources hors du commun. » La transformation numérique impose de nous réinventer en permanence, et dans cette lutte les collaborateurs dotés de mad-skills seraient une sorte de super-soldats – ce n’est sans doute pas un hasard si l’on parle souvent de « guerre des talents ».
The New Abnormal
Mais le monde de l’entreprise n’étant pas celui des Avengers, cette réalité pousse déjà certains à interroger le bien-fondé du principe de mad-skill. « Personnellement, ce n’est pas un concept que j’utilise, reconnaît par exemple Caroline Briaucourt. Les mad-skills, c’est un peu le résultat du ‘toujours plus’. » En effet, ériger ces folles singularités au rang d’idéal à atteindre, n’est-ce pas un moyen de créer une nouvelle normalité ? Les nombreuses photos publiées sur LinkedIn après le marathon de Paris attestent en tout cas du caractère finalement très mainstream de ce mad-skill. D’un autre côté, cette course ne risque-t-elle pas de laisser de côté certaines personnes dont le parcours académique linéaire aurait été vu une décennie plus tôt comme impeccable – alors même que certains profils innovants manquent terriblement ?
La vérité est sans doute à trouver au milieu. Pour apporter de la cohérence entre des personnes aux lignes de vie et capacités diverses, nous avons mis les soft-skills au cœur de nos enseignements. « Avec les étudiants de Human Experience, je mets davantage en avant le principe d’intelligence émotionnel, poursuit Carolinne Briaucourt. Le but est de comprendre que son propre comportement n’est pas la règle, la prise de conscience de notre fonctionnement par rapport à celui des autres. La tolérance, l’ouverture et l’acceptation du fait que tout le monde ne fonctionne pas de la même manière. » Aussi, pour composer une équipe efficiente, plutôt que de ne chercher à recruter que des personnes au parcours exceptionnel, il est peut-être plus important de s’assurer d’une cohérence dans la diversité. Et pour parvenir à ce difficile équilibre, l’enseignement de l’intelligence émotionnelle est fondamental, afin de permettre davantage de compréhension et d’empathie entre les collaborateurs. Mieux se connaître pour mieux accepter les autres au sein d’un groupe uni, au lieu de chercher la singularité coûte que coûte parmi une somme d’égaux.