Depuis janvier 2019, les entreprises peuvent créer leurs propres cursus d’apprentissage en alternance. Une aubaine alors que de nombreux postes manquent de main d’œuvre.
Réussir son recrutement est un enjeu crucial pour une entreprise. “C’est très compliqué, cela prend énormément de temps”, confirme Ketty de Falco, CEO de la division Insights de Kantar France. Dans un monde du travail en pleine transformation numérique, son entreprise doit faire face à un certain manque sur plusieurs postes, où faute de formation adaptée les candidats ne sont pas assez nombreux. “Les écoles n’ont pas intégré le market research comme nous le vivons au quotidien en tant que data agency”, poursuit la dirigeante. Pour répondre à ce problème, le leader mondial de la data a décidé de lancer il y a un an la Kantar University, en s’associant avec Human Experience. Le but : prendre les devants pour former à l’intérieur de la société dès aujourd’hui ses data scientistes de demain grâce à un diplôme de deux ans en alternance.
Depuis le 1er janvier 2019, les entreprises ont été autorisées à créer des centres de formation d’apprentis (CFA) intégrés grâce à la réforme de la formation professionnelle, qui a sorti l’apprentissage du giron des régions. En un peu moins de deux années, plusieurs groupes ont annoncé le projet de se doter d’une structure éducative à court terme. Certains ont même déjà sauté le pas, lors des rentrées de septembre 2019 et 2020. En tout, plus de 500 projets ont été lancés, dans des secteurs aussi différents que la coiffure (L’Oréal), la gestion des déchets (Nicollin) ou encore l’industrie (Total, la SNCF ou encore EDF). De leur côté, la collaboration entre Kantar et Human Experience, membre du groupe d’enseignements supérieurs IGS, offre une voie alternative, plus pratique et simple à mettre en place, débouchant sur un double diplôme reconnu autant par la profession que l’Etat. Un mouvement global qui aura fait de l’année 2019 celle de tous les records pour l’apprentissage. Le ministère du Travail s’attend à ce que 2020 suive la même tendance, alors même que la situation sanitaire a ralenti l’économie mondiale. Human Experience est moteur de ce dynamisme, puisqu’à la fin du mois de septembre 2020, l’entreprise a lancé en association avec Reworld Media, leader français des médias thématiques, un Bachelor de Media Content Manager. Pour les entreprises, créer son propre cursus d’alternance a de très nombreux avantages.
Le premier est donc aussi le plus évident : combler des postes vacants faute de jeunes formés, alors que 79 % des dirigeants craignent qu’un manque de compétences menace la future croissance de l’entreprise. Cela peut concerner autant des emplois à très forte valeur ajoutée, comme le Master Architecte des stratégies Insights & Data de Kantar, qu’au contraire des secteurs techniques délaissés car peu valorisés, à l’instar du bâtiment ou de l’électricité. “Pour répondre aux métiers de l’entreprise, le CFA d’entreprise doit proposer des contenus de formation répondant à des métiers techniques de niche, non pourvus par le système d’apprentissage traditionnel”, apprend-on dans les pages du guide Créer son CFA d’entreprise de la fondation Innovations pour les apprentissages (Fipa). Parmi les entreprises membres de ce collectif, on trouve autant Orange que Saint-Gobain ou Lactalis.
« La possibilité de créer des CFA d’entreprise répond à un double enjeu : recruter sur des métiers en tension et former ses salariés, alors qu’un emploi sur deux va se transformer dans les 10 ans et que de nouveaux vont se créer », explique Rémi Boyer, le DRH de Korian, qui a lancé une formation en collaboration avec les groupes Accor, Adecco et Sodexo. « Les entreprises qui s’engagent dans ce dispositif aujourd’hui prennent une longueur d’avance dans la bataille des compétences. »
In fine, il s’agit de découvrir et de modeler les talents pour garder les meilleurs élèves à la fin de leur cursus. Au bout d’une ou deux années un jeune est non seulement diplômé mais, surtout, il est totalement opérationnel pour les besoins de l’entreprise et imprégné de ses codes et de son esprit. “Alors qu’au contraire lorsqu’il s’agit de nouveaux employés venus d’écoles extérieures, il faut généralement les former à leur arrivée chez nous”, explique Ketty de Falco de Kantar.
Si le but de la formation est de pourvoir ces postes à long terme, avoir les étudiants au sein de l’entreprise répond à un besoin de main d’œuvre de court terme. “Rapidement, nos élèves ont été mis sur des projets concrets, explique Stéphane Panot, directeur général de Kantar Analytic. Cela crée même de l’émulation chez les autres employés.”
L’alternance intégrée dans une entreprise permet également de mieux adapter les enseignements aux besoins de l’employeur, qu’il s’agisse d’acquis techniques ou au contraire de soft skills. “Nos cours théoriques sont en cohérence avec le reste du cursus”, développe Ketty de Falco. Terminé aussi la règle de la répartition entre semaines en entreprise et semaines de cours à l’école. En internalisant la formation, une société garde ses apprentis en permanence. “Un alternant qui arrive d’une école extérieure n’aura pas forcément le goût pour la data, il faudra plus le former”, poursuit la dirigeante de Kantar, dont la formule de CFA d’entreprise est légèrement différente de ce qui a été rendu possible par la réforme entrée en vigueure en 2019, puisque la formation a été mise en place en partenariat avec Human Experience, membre du groupe d’enseignements supérieurs IGS qui place au coeur des enseignements pédagogie et soft-skills. Les élèves y valident un double diplôme reconnu par l’État mais calibré pour le monde de l’entreprise. “C’était fondamental que notre cursus soit reconnu par l’État”, complète Stéphane Panot.
Être en capacité de façonner ses futurs employés participe aussi à une réflexion plus profonde des entreprises. “Il faut être un peu moins obsédé par le diplôme. La formation doit permettre de faire le pont entre ce que vous étiez et là où vous voulez être”, estime le président d’Adecco, Alexandre Viros. De fait, ces cursus en alternance intégrés permettent d’ouvrir le monde du travail à des profils plus hétérogènes. Chez Kantar, par exemple, les élèves viennent autant du monde de l’informatique que des bancs de l’université. “C’est dans notre volonté d’aller vers plus d’inclusion et de diversité, confirme Ketty de Falco. Notre rôle, c’est d’apporter de la cohérence à des profils hétérogènes, qui auront des skills très différents, plutôt que de recruter des clones tous venus d’écoles de commerce.”