Alors que s’ouvre la saison des prestigieux concours d’entrée, le décalage n’a jamais été aussi important entre la réalité du monde professionnel et le formalisme de ces épreuves. Il est grand temps de tirer un trait sur des pratiques héritées des siècles passés.
De quoi la réussite à un concours est-elle la marque ? D’une tête bien faite, d’un esprit brillant et capable de s’adapter à des sujets très divers ; ou plutôt d’un bachotage intensif, de parents suffisamment aisés pour payer une prépa privée enseignant les rouages de chaque épreuve, jusqu’aux plus infimes détails ? Dans une étude qui a fait grand bruit au début de l’année, l’Institut des Politiques Publiques a montré que la diversité sociale dans les grandes écoles avait reculé ces vingt dernières années. Et si tout ne peut pas être imputé à la nature de la sélection à l’entrée dans ces établissements prisés, certains chercheurs n’hésitent pas à les critiquer. « Le concours ou toute forme de sélection ne fait que décourager les élèves socialement défavorisés, estime ainsi la sociologue Annabelle Allouche, auteure de La Société du concours (Seuil, 2017). (…) Dans un système de massification où de plus en plus de jeunes accèdent à l’enseignement supérieur, le concours est un moyen pour les familles de classes moyennes de maintenir leur position sociale, en ayant un diplôme qui les protège à la fois du chômage mais qui soit également le plus désirable possible. »
« Valoriser le potentiel et moins le mérite ou un stock de connaissances »
L’année 2020 aura fonctionné comme un révélateur. Avec la crise sanitaire presque l’ensemble des épreuves écrites des concours ont été annulées, remplacées par une sélection sur dossier et, parfois, un oral. Résultat : des promotions beaucoup plus diverses, aussi bien dans les IEP que dans les écoles de commerces les mieux classées. « Le coronavirus ne fait qu’accentuer un processus engagé depuis une dizaine d’années dans l’enseignement supérieur, où l’on valorise plus le potentiel et moins le mérite ou un stock de connaissances », précise Annabelle Allouche. Dès la création d’Human Experience, nous avons misé sur ce modèle de recrutement plus inclusif et mieux en adéquation avec les besoins du monde de l’entreprise. Une solution reprise, notamment, par Sciences-Po Paris et Sciences-Po Bordeaux en 2021. Contre la ségrégation des concours, la sociologue propose également comme alternative « l’apprentissage par les pairs (qui) doit être revalorisé, tout comme les formations à tout âge et les formes déscolarisées d’apprentissage tel que le jeu ».
Cette ouverture est d’autant plus importante, qu’en France, le diplôme reste un marqueur important, qui protège encore le jeune sur le marché de l’emploi. Une réalité qui renforce toujours plus l’attrait des écoles les plus prestigieuses. Pourtant, la réalité de l’économie mondiale annonce un changement de paradigme, venu bien évidemment des pays anglo-saxons : dans la révolution du digital, le diplôme ne sera pas le roi. « Les pratiques de recrutement évoluent lentement mais sûrement. Depuis plusieurs années, nous observons une ouverture des mentalités, avec notamment la valorisation croissante de profils atypiques et de parcours alternatifs », explique Jérémy Lamri, directeur de la recherche et de l’innovation chez JobTeaser. La plateforme de recrutement a publié il y a peu une très intéressante étude de prospection sur les évolutions à venir des embauches, à l’issue de la crise sanitaire.
« Une image de politique élitiste lorsqu’on ne recrute que certaines écoles »
Et parmi les conclusions du rapport, la baisse de l’influence d’un diplôme prestigieux dans le processus de recrutement est l’une des plus importantes. « Quel que soit le pays, deux facteurs fondamentaux changent progressivement la donne et poussent les entreprises à diversifier leurs processus de recrutement et à relativiser le diplôme : La montée des préoccupations éthiques/RSE, qui amène une image de politique élitiste lorsqu’on ne recrute que certaines écoles, et cela pousse certaines entreprises à bouger ; Les technologies accélèrent fortement l’obsolescence des compétences, et font la démonstration qu’il vaut mieux avoir des collectifs hétérogènes pour adresser la complexité du monde, que des clones surdiplômés. » D’ici 2030, une immense majorité des métiers sera révolutionnée. Contre le diplôme, on parlera bientôt de compétences.
C’est dans cette optique que nous avons, chez Human Experience, pensé nos formations en alternance. S’ils proposent bien des diplômes reconnus par l’Etat, nos cursus invitent les étudiants à valider des compétences nécessaires aux entreprises partenaires. De fait, on ne leur demande pas d’apprendre des fiches par cœur mais à maîtriser des qualités clé au monde du travail, comme certains soft-skills, la stratégie de relation client ou encore des langages informatiques de pointe. « L’enjeu est que le diplôme ne doit pas/plus attester du suivi d’un cursus d’études dans une institution, mais de compétences maitrisées », abonde le consultant RH François Geuze.
Ce changement de mentalité est poussé par le monde des start-up, en pointe de la révolution digitale. Alors même que ces entreprises ont besoin de profils très techniques, la majorité de ces employeurs accordent au diplôme une place secondaire et valorisent davantage les soft-skills, les compétences comportementales ou l’expérience. Et le rapport de JobTeaser de conclure : « Le passage de nos économies d’un monde stable à un monde instable avec des mutations technologiques accélérées, la diffusion du digital et une concurrence mondialisée imposent aux entreprises de se réinventer en permanence. Durant la période ‘stable’, les maîtres mots ont été la recherche de conformité et l’intégration de profils ‘clones’ ayant des compétences compatibles avec une culture d’entreprise normée facilitant leur acculturation à un système de valeurs prédéfini et immuable. Dans un contexte de concurrence mondialisée, la révolution technologique de ces dernières années a favorisé l’émergence de modèles disruptifs venant bousculer les modèles d’affaires traditionnels. Ceci a conduit les acteurs traditionnels à devoir se réinventer à marche forcée et à faire preuve d’une agilité nouvelle. Dans ces conditions, le recrutement de profils ‘conformes’ en matière de diplômes et d’attitudes rend l’exercice du changement et l’innovation d’autant plus difficile à réaliser. »