Notamment pour faire face aux transformations du monde du travail liées au numérique, les sociétés n’ont plus peur de se tourner vers les moins de 30 ans, jusqu’à prendre en charge la fin de leurs études.
Les chiffres sont sans équivoque. Fin octobre, le ministère du Travail a annoncé que, malgré la crise économique née du Covid-19, les embauches des jeunes se portaient très bien. Entre août et septembre, 696 000 moins de 26 ans ont signé un contrat de plus de trois mois, soit 10 000 de plus qu’à la même période en 2019. Même constat au niveau de l’apprentissage. Fin septembre, pas moins de 314 000 contrats avaient été signés, selon les chiffres du ministère, qui espère faire au moins aussi bien que les 368 000 contrats d’apprentissage signés en 2019, année record – et ce,
malgré un net ralentissement relevé au printemps, au plus fort de la première vague de la crise sanitaire.
Côté gouvernement, on y voit les premiers résultats du plan de relance annoncé au début de l’été. De nombreuses aides financières, comme le versement de 4 000 euros par an par embauche de salariés de moins de 26 ans, ont en effet pour but de “fidéliser le jeune”, selon l’entourage de la ministre Elisabeth Borne. Reste que si cet horizon est dégagé, quand bien même le futur de l’économie mondiale est ombrageux, c’est bien la preuve d’une prise de conscience à l’intérieur des entreprises de l’intérêt de se tourner vers les jeunes. Une mini-révolution qui n’est pas sans conséquences.
Les entreprises doivent aujourd’hui faire face à un enjeu majeur. Porté par le numérique, le monde du travail connaît d’importantes transformations. De fait, nombreux sont les postes novateurs et à forte valeur ajoutée qui ne peuvent être pourvus, moins faute de candidats crédibles que de formations adaptées. Cette pénurie d’un nouveau genre bouleverse le recrutement des salariés. Les jeunes, diplômés ou non, sont ainsi davantage recherchés car considérés comme mieux qualifiés ou en tout cas plus facilement solubles dans un monde où la technologie est un atout.
Dans un rapport, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) mettait en avant en 2019 le paradoxe que “les générations les plus récentes ont un niveau de formation et de diplôme, en moyenne, supérieur à celles qui les ont précédées et connaissent pourtant de moins bonnes conditions d’insertion dans l’emploi”. Dans le même rapport, l’assemblée pointait deux éléments fondamentaux : d’un côté, les diplômes ne sont plus un rempart contre le chômage, à l’exception des “formations professionnelles courtes” notamment en alternance ; d’un autre côté, les recruteurs exigent des “compétences générationnelles considérées comme allant de soi” mais développées “en dehors du champ de l’enseignement formel”. Un rapport naturel et instinctif au numérique est notamment attendu chez les jeunes candidats.
“Quand tant de demandeurs d’emploi affichent les mêmes formations, la différence se fera immanquablement sur d’autres critères”, explique, ainsi, Cécile Dutriaux, doctorante à la Sorbonne. Symbole de ce phénomène, les soft skills sont ainsi devenus, ces dernières années, de plus en plus importants dans la tête des recruteurs. “L’évolution du monde du travail, notamment avec la robotisation, l’automatisation et l’intelligence artificielle, nous oblige à miser sur le capital humain”, explique ainsi Jérôme Hoarau, co-auteur avec Fabrice Mauléon et Julien Bouret du Réflexe Soft skills (Dunod 2014). Parmi ces qualités les plus recherchées : la confiance en soi, l’intelligence émotionnelle, la créativité ou encore le sens du collectif. Des aptitudes qui ne s’apprennent pas forcément sur les bancs des plus prestigieuses écoles, mais davantage sur le tard, grâce aux formations professionnalisantes mises en avant par le Cese, comme les cursus en apprentissage dispensés par Human Experience, où ces qualités humaines sont un élément prépondérant des enseignements, avec des cours spécialisés.
Car dans le monde des soft skills, l’apprentissage en entreprise, jusque-là rabaissé, est devenu la meilleure voie. Si pendant longtemps, en effet, les sociétés ne juraient bien que par les diplômés de grandes écoles, aujourd’hui elles laissent davantage de chances aux alternants. “On a remarqué que lorsqu’on recrutait des profils techniques comme des data scientistes, il fallait généralement les former a posteriori pour qu’ils soient opérationnels”, explique Ketty de Falco, CEO de la division Insights de Kantar France. Alors, pour gagner du temps et réussir un recrutement plus efficient, le numéro 1 de la data a fondé en 2019 son master d’architecte des stratégies Insight et Data, en collaboration avec Human Experience. Un cursus de deux années, pensé par le monde de l’entreprise et reconnu par l’Etat, où l’apprentissage des soft-skills est central.
L’avantage de l’alternance sur les autres cursus : inculquer l’esprit de la société aux étudiants-salariés. “Rester 12 ou 24 mois dans une entreprise n’a rien d’anodin. Cela signifie déjà engranger des compétences, mais surtout un savoir-être, une connaissance des codes. Le risque d’échec d’un premier emploi est considérablement réduit si le jeune a fait de l’apprentissage”, abonde Estelle Raoul, directrice exécutive du cabinet de recrutement Page Personnelle France.
D’autant que la maîtrise des codes de l’entreprise est devenue un réel besoin pour les jeunes salariés. “Entre populations issues de logiques différentes, aspirations individuelles fortes et tensions sur certains bassins d’emploi, la question de la maîtrise des codes sociaux est devenue, pour l’entreprise, un enjeu crucial, à mi-chemin entre responsabilité et survie”, explique Cécile Dutriaux, doctorante à la chaire Économie des Partenariats Public-Privé de la Sorbonne. “La non-intégration ou à la mauvaise intégration des codes sociaux des salariés a souvent une origine personnelle simple : celle de l’appartenance à un milieu initial différent, voire très différent, de celui de l’entreprise.”
Pour ces jeunes, l’alternance peut être une solution crédible pour acquérir ces codes, car il n’est pas attendu des étudiants qu’ils soient des produits finis au moment de commencer leur formation, plutôt des potentiels à réaliser. “Au-delà des compétences métiers, nous recherchons aussi des personnalités : des profils disposant d’un grand sens du service, un excellent relationnel, une grande capacité d’écoute, un esprit d’équipe prononcé et du savoir-être”, confirme Christine Lemaire, DRH de l’entreprise d’assurance pour la téléphonie SFAM Group qui fait de l’alternance un des piliers de sa stratégie de recrutement.
Reste que du côté de la nouvelle génération, l’entrée dans le monde de l’entreprise ne se fait pas sans aspirations ni exigences, dans des perspectives d’avenir mais pas uniquement. Les jeunes attendent que leur société impacte positivement le monde alentour. Un moyen de mieux s’y identifier et de se donner un sens. C’est pour cela que le modèle de la grande entreprise ne fait plus forcément recette. “L’engouement pour les startups, mais plus encore pour les PME (petites et moyennes entreprises) des structures à taille humaine, traduit le désir de nos jeunes de mieux mesurer l’impact de leur travail, de se sentir plus collaborateurs et acteurs que salariés”, indiquent Manuelle Malot et Geneviève Houriet Segard, de l’EDHEC Business School. “L’entreprise est considérée par les jeunes comme un moteur d’innovations, mais c’est surtout pour eux le lieu d’une aventure collective qui permet de se dépasser.” Malléabilité et compétences générationnelles contre un métier passion : la nouvelle recette gagnant-gagnant d’un recrutement réussi.