Avec l’émergence des soft-skills, ce concept a pris une grande importance, autant dans le monde de l’entreprise que dans celui de l’enseignement.
Le changement de paradigme est en marche. Peut-être a-t-il déjà même eu lieu. La révolution technologique apportée par l’émergence et la normalisation de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le monde de l’entreprise a profondément modifié la manière dont les dirigeants et les RH perçoivent quelles compétences sont les meilleures. Et pour cause : si c’est un robot qui se charge des manipulations techniques les plus périlleuses, à quoi sert votre PHD ?
« Une étude considère que 85% des métiers de 2030 n’existent pas encore et que les soft-skills sont fondamentaux face à ces évolutions, avec le développement de l’intelligence artificielle et de la data, on considère que tout ce qui est rationnel, toutes les compétences techniques vont pouvoir être gérés par l’IA. Ce qui distinguera, alors, l’Homme de la machine, ce sera l’intelligence émotionnelle et les soft-skills. » expose Caroline Briaucourt, coach de soft-skills, et professeure chez Human Experience. Terminée l’ère de la toute-puissance du diplôme. Au quotient intellectuel (QI), certains voient déjà se substituer le quotient émotionnel (QE). Depuis quelques années, alors que les soft-skills prennent le pas sur les hard-skills, on voit émerger le concept d’intelligence émotionnelle, jusqu’à devenir une clef pour un recrutement réussi.
Comprendre ses émotions avant celles des autres.
Selon certains spécialistes, chacun aurait un QE comme chacun a un QI. Ce concept se définit en quatre étapes : la conscience que chacun a de ses propres émotions, la manière dont on les traite, la conscience que chacun a des émotions des autres et enfin la manière dont on traite ces dernières.
« Ces quatre compétences ont forcément un ordre. On ne peut pas s’amuser à traiter les émotions de l’autre si l’on ne connaît pas les siennes, précise Caroline Briaucourt. On doit commencer par s’occuper de soi et à notre capacité à gérer nos propres émotions, puis on pourra s’occuper des autres. »
L’intelligence émotionnelle est dérivée des sciences cognitives et des études sur le fonctionnement du cerveau. « On parle parfois de cerveau droit et de cerveau gauche », poursuit la coach. Le cerveau gauche serait celui des aptitudes analytiques, de la compréhension quand le cerveau droit permettrait la créativité, l’émotion ou encore l’intuition. En France, très en retard sur les pays anglo-saxons dans la prise en compte des soft-skills, on a jusque-là surtout valorisé le cerveau gauche.
Ne pas rester figé dans ses hard-skills
Car l’intelligence émotionnelle n’est pas un soft-skills à proprement parler, plutôt une qualité qui permet de mieux utiliser ses soft-skills, de les sublimer et de les approfondir. « Les dernières avancées scientifiques dans le domaine des neurosciences cognitives ont mis en évidence le rôle essentiel joué par les émotions dans le processus d’apprentissage en général ainsi que dans les relations humaines », rappelle Déborah Romain-Delacour, docteure en psychologie sociale et psychologue du travail. « Il a également été démontré, notamment dans le cadre de travaux menés en psychologie positive concernant l’expérimentation de thérapies courtes, à quel point la gestion des émotions constituait une compétence centrale qu’il était possible de développer, grâce à la pratique régulière d’exercices cognitifs et comportementaux ciblés. La gestion des émotions érigée au rang d’intelligence émotionnelle connaît ainsi ses heures de gloire, et cela change la donne car il est possible aujourd’hui de progresser en apprenant à reconnaître, à comprendre, à maîtriser ses propres émotions, et à s’adapter aux émotions des autres. »
Dans un monde en transition vers toujours plus de numérique : adaptabilité et flexibilité deviennent, peu à peu, les mots d’ordre dans les entreprises. « Ce sont des attributs très importants, car si un employé est limité à ses hard-skills, avec une intelligence émotionnelle faible, il risque de se retrouver figé dans ses comportements, indique Caroline Briaucourt. Pour le moment ses capacités techniques sont bonnes, mais la personne pourrait avoir du mal à évoluer en même temps que la technologie. Aujourd’hui, les sociétés cherchent, au moment du recrutement, à identifier les personnes qui ont plus de flexibilité dans leurs compétences humaines et relationnelles. »
Lutter contre les souffrances au travail
D’autant que, même sans attendre l’horizon 2030, l’intelligence émotionnelle permet, tout de suite, de mieux appréhender son environnement professionnel. D’un côté, mieux analyser ses émotions permet de les prendre en compte plus vite et d’éviter certaines formes de souffrances psychologiques. « J’explique toujours à mes étudiants que si vous étiez dans une voiture, l’émotion c’est le signal lumineux sur le tableau de bord, développe Caroline Briaucourt. Ce sont des paramètres que nous envoie notre corps qui, s’ils ne sont pas pris en compte, ne nous permettront pas d’aller dans la bonne direction voire nous feront de tomber en panne : dépression, burn-out… Il y a différents signaux, qui n’ont pas le même objectif ni la même signification, à assimiler. C’est pour cela qu’il faut aussi améliorer notre capacité à analyser puis traiter le message.»
D’un autre côté, percevoir les émotions d’autrui revient à accepter que tout le monde ne fonctionne pas de la même manière. Il s’agit non pas de calquer ses réactions sur les autres, de les considérer comme la normalité, mais au contraire de s’ouvrir à différents fonctionnements. « Savoir que son propre comportement n’est pas la règle, c’est la base de l’ouverture d’esprit, estime Caroline Briaucourt. Avec les étudiants de Human Experience, on a toute une première partie de compréhension, de qui on est, des différents types de personnalités ou de comportements humains, motivés par des buts divers. » Faire de la diversité des personnalités une chance, plutôt que de tourner à vide entre profils similaires : l’intelligence émotionnelle est aussi un pari pour plus de succès.