Malgré les efforts du secteur et des pouvoirs publics, encore trop peu de femmes percent dans le milieu du digital, autant pour cause de blocages extérieurs que d’autocensure. Des barrières à abattre dès le post-bac, notamment grâce à l’apprentissage.
Le monde de la tech est un champ de possible : la bonne idée au bon moment, la bonne présentation devant les bonnes personnes, et la success story peut démarrer. Un scénario idéal, déjà promu par plusieurs générations biberonnées aux mythologies d’Apple, Facebook ou Airbnb… encore faut-il pour cela être un homme ! Dans son enquête annuelle sur la place des femmes dans la French Tech, publiée il y a quelques semaines, l’association Sista pointe qu’en 2020 seule une start-up qui a levé des fonds sur cinq a été fondée ou cofondée par une femme. « Au global, les investisseurs continuent de privilégier les équipes masculines, qui représentent près de 85 % des startups financées et plus de 90 % des fonds levés en 2020 », développe le rapport. Plusieurs biais expliquent ce résultat. « Les investisseurs ne posent pas les mêmes questions aux hommes et aux femmes. Les créateurs sont questionnés sur leurs possibles succès ; les créatrices, sur les potentiels facteurs d’échec », précise, ainsi, Raphaëlle Martin-Neuville, associée chez Aster Capital.
« Être actrices des métiers d’avenir »
Voilà donc le résultat de quarante ans de stéréotypes de genre et d’entre-soi : les écoles d’ingénieurs et d’informatique ne forment aujourd’hui pas assez de femmes. Elles ne composent par exemple que 26 % des effectifs en écoles d’ingé. « Si les filles sont moins présentes en école d’ingénieurs et en prépa (scientifiques), cela ne s’explique pas par leur niveau scolaire », souligne pourtant Cécile Bonneau, coautrice d’une étude sur la place de minorités dans les grandes écoles. En effet, au moment de l’obtention du bac, les jeunes femmes ont de meilleurs résultats que les hommes dans les filières scientifiques. Ainsi, 35 % des bachelières ont eu le bac S avec au moins la mention Bien en 2019, contre 29 % pour les bacheliers.
« Il faut absolument leur donner envie de s’engager dans les technologies numériques, d’être actrices sur des métiers d’avenir, qui sont bien rémunérés », insiste Corinne Pessus, créatrice de l’école Human Experience, qui met l’inclusion au cœur de sa politique de sélection des étudiants. « Il est nécessaire de faire comprendre aux femmes que si elles veulent, elles aussi, accompagner les évolutions profondes de nos entreprises et de la société en général cela doit passer par une appétence plus importante des compétences liées au numérique. » Car tant que la tech sera dans les seules mains des hommes, la porte du club restera compliquée à ouvrir pour les entrepreneuses innovantes, les magiciennes des données et les expertes en cybersécurité.
Contre cela, il faut s’attaquer à une barrière mentale qui prend ses racines très tôt dans la vie des jeunes filles. « Tout au long de l’enfance puis de la scolarisation, un certain nombre de préjugés et de réflexes en direction des jeunes filles font qu’elles ne se sentent pas légitimes pour aller dans des carrières liées aux sciences dures, déplorait encore l’année dernière la ministre déléguée à l’Économie, Agnès Pannier-Runacher. (…) Les filles s’autocensurent. Et les parents, en croyant bien faire, renforcent cette attitude en demandant par exemple : « Mais tu es sûre que ça va aller ? » Fondamentalement, on a un problème de préjugés très ancrés, très culturels sur l’accès des filles aux carrières scientifiques et technologiques. »
« Plutôt que d’adapter les femmes, adaptons le système »
L’autocensure est pernicieuse mais des solutions existent, et c’est peut-être la crise sanitaire qui a permis de les voir émerger, ou en tout cas de les valider. Ainsi, avec l’annulation des concours et des épreuves orales en 2020, plusieurs écoles d’ingénieurs post-bac ont constaté une hausse significative des candidates, et donc des étudiantes sélectionnées. « Les filles n’osent pas passer à l’oral, décrypte la sociologue Gaëlle Redon. Cela ne veut pas dire qu’elles sont moins bonnes, mais elles le disent et le montrent physiquement. » Un constat qui remet en perspective le système des concours si cher au monde des grandes écoles.
D’un point de vue général, la sélection dans ces grandes écoles ne permet pas le renouvellement des élites et leur diversification. La formation en alternance est, au contraire, un bon moyen d’aller vers plus d’inclusion, car l’aspect professionnel et concret démystifie des secteurs techniques. Au moment de la sélection des talents qui composent la première promotion de notre Master d’Architecte des Stratégies Insight et Data, développé avec KANTAR, nous avons pu mesurer que miser sur une sélection par dossier et non un oral permettait d’attirer des profils variés, et notamment des candidates. « Plutôt que d’adapter les femmes, adaptons le système, rendons le plus inclusif, poursuit Corinne Pessus. C’est ce que nous nous efforçons de faire et de faire savoir avec Human Experience. En nous positionnant sur des métiers d’avenir, tous emprunts d’une forte dimension digitale, nous proposons d’acquérir des compétences en alternance, ce qui rend la proposition plus concrète et complète. Nous faisons, également, le choix de travailler avec des entreprises qui ont compris combien l’inclusion et le numérique sont clé pour le futur de leur société. »
Davantage de diversité des profils, cela veut également dire aller chercher des candidats parmi les personnes en reconversion. Des talents souvent déjà engagées dans la vie active qui n’ont pas le luxe de repartir de zéro, et pour qui les avantages financiers de l’alternance sont cruciaux. Or, « sur la féminisation du secteur, on dit qu’il n’y a pas assez de candidates, explique Frédéric Bardeau, président de Simplon, qui forme au numérique des profils éloignés de l’emploi. C’est vrai à bac +4 ou +5, mais en reconversion, elles sont nombreuses. » Surtout que ces profils sont nécessaires. L’ouverture de la cybersécurité, de l’Intelligence artificielle ou encore de la Data aux femmes n’est pas qu’une mesure de justice sociale, mais bien un impératif de performance. Une étude réalisée par le MIT a ainsi prouvé que, parce qu’écrit en grande majorité par des hommes, les algorithmes de reconnaissance faciale donnaient des résultats genrés : quasi-parfait pour un homme blanc, mais faux à 35 % pour une femme de couleur.