Les entreprises de tech peinent encore à recruter des profils divers, et notamment des femmes. Mise en cause par ces dernières, une ambiance bières et blagues de bonhomme qui peut parfois virer en harcèlement et agression sexiste.
Malgré les efforts consentis par chacun, toute la bonne volonté affichée, les entreprises de tech en France n’y arrivent pas. Présentés fin février par Elisabeth Moreno, ministre déléguée à l’Egalité femmes-hommes, et Cédric O, secrétaire d’Etat chargé du Numérique, les résultats de l’enquête Gender Scan sont sans appel : parmi les professionnels du numérique, « la proportion de femmes reste inférieure à 20 % ». Dans les faits, elles ne représentaient en 2021 que 17 % des effectifs totaux, déplore l’étude. Réalisée tous les deux ans, elle ne note pas d’avancée significative depuis 2019. Il n’y a tout simplement pas assez de jeunes femmes formées par le système actuel. Quand celles-ci sortent diplômées, elles ont plus de mal à s’insérer professionnellement et humainement dans une industrie longtemps présentée comme un monde réservé aux seuls garçons – et qui se vit encore en partie comme tel. Pour envisager une plus grande place pour les femmes, il est nécessaire de lancer une révolution culturelle.
Plus de comportements sexistes dans le numérique que dans les autres industries
Le monde du numérique a un problème de sexisme. C’est n’est bien sûr pas le seul milieu touché, mais cette industrie, pourtant toute tournée vers la création d’un meilleur futur, a un vrai souci quant à l’égalité entre les genres. « La proportion de femmes de la tech victimes de comportement sexistes est de 8 % supérieure à celle observée dans tous les secteurs », insiste ainsi l’étude Gender Scan. Ainsi, près d’une femme sur deux a confié devoir faire face à des remarques et/ou des gestes déplacés dans son entreprise. Ces deux dernières années, on ne compte plus les scandales sortis dans la presse française et internationale sur des start-up et des entreprises de la tech, de l’application de rencontre Happn, mis en cause dans une enquête de Mediapart, aux géants du jeu vidéo Ubisoft en France et Activision-Blizzard aux Etats-Unis.
Généralement, les entreprises sont pointées du doigt pour avoir permis la mise en place d’une ambiance délétère en interne, souvent aux dépens du bien-être des femmes et des minorités. Cela ne va pas tout le temps jusqu’à des cas d’agression sexuelle ou d’attaque raciste, mais les enquêtes journalistiques font état de cultures internes toxiques, faites de blagues salaces et déplacées. Début 2021, le compte Instagram @balancetastartup a fait beaucoup parler de lui en publiant des témoignages anonymisés de salariés et d’ancien salariés travaillant dans le milieu des start-up françaises. La somme des déclarations faisant presque preuve d’un problème systémique dans le management de ces structures façon « bro-culture ». « 70 % des témoignages viennent de femmes, expliquait alors la créatrice du compte Instagram. On peut faire l’hypothèse qu’elles sont une cible plus facile en entreprise. Il y a aussi pas mal de sexisme et racisme dus à la non-diversité dans le secteur : dans toutes les start-up dans lesquelles j’ai travaillé, les patrons avaient moins de 30 ans, étaient blancs et hétéros et venaient d’un milieu très favorisé… On retombait souvent dans des schémas sexistes, des mentalités peu ouvertes, des blagues pas du tout acceptables. (…) J’avais parfois l’impression qu’on était dans la continuité des BDE d’écoles de commerce. »
« Virilisme toxique »
Cette ambiance tient beaucoup au fait que ces entreprises sont encore massivement créées par des hommes, à qui les investisseurs font davantage confiance lors des levées de fonds. Or, on sait que ces hommes vont également plutôt faire confiance à d’autres hommes issus du même milieu que le leur, quitte à donner l’impression de dissoudre la différence entre bande de potes et collègues. Un stéréotype largement entretenu par le développement de mythologies autour de la Silicon Valley (on pense au film The Social Network, à son groupe d’adulescents qui s’apprête à changer le monde entre deux parties de beer-pong et autres compétitions de codage informatique, par exemple), mais attaqué depuis quelques années déjà de l’autre côté de l’Atlantique, avec la publication en 2017 du livre Brotopia, de la journaliste de Bloomberg Emily Chang. Elle y dépeint la Silicon Valley, justement, comme un « boys’club », où la misogynie, de harcèlement sexuel et les écarts de salaire genrés sont la règle jusque chez les Gafam.
Contre cette « bro-culture », il est primordial de prendre les devants avant même l’entrée dans le monde professionnel. Problème, le système du supérieur tel qu’il existe aujourd’hui est peut-être encore plus violent contre les femmes. L’année 2021 aura agi comme un révélateur quant au profond sexisme qui y règne. Les réseaux sociaux auront ici aussi joué un rôle, avec le développement du mouvement #sciencesporcs, attestant du virilisme au sein des IEP. Plus près du numérique, une enquête conjointe de Libération et Gamekult s’est intéressée au printemps dernier aux écoles de jeux vidéo. Les journalistes y décrivent là encore un « virilisme toxique (…) banal et banalisé ».
Le rapport Gender Scan s’intéresse, notamment, au sexisme rencontré par les étudiantes qui suivent des parcours dans la tech. « Plus d’une étudiante sur trois a été confrontée à des comportements sexistes, une sur dix au harcèlement sexuel », indique l’étude. Ainsi 37 % des étudiantes interrogées ont fait l’objet moqueries misogynes et 33 % des répondantes disent devoir subir des remarques sur les habits qu’elles portent. Une violence verbale insidieuse vécue comme « démoralisante et stressante » par 34 % des étudiantes. « Pour plus d’une femme sur dix cela donne envie de quitter cette formation (14 %) », poursuit le Gender Scan. « Que ce soit au niveau des filières de formation, dans les métiers du développement ou du codage, les stéréotypes et le sexisme associés font des ravages, se désole la présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Brigitte Grésy. Il y a vingt ans, certains métiers de l’informatique étaient largement occupés par des femmes ! La culture geek virile et les conditions de travail, qui ne pensent ni à la mixité ni à la parentalité, découragent les filles alors que ce secteur est un gisement d’emplois. » Pour contrer cela, Human Experience fait le choix de recruter dans ses formations autour du numérique beaucoup de jeunes femmes, parmi des profils plus diversifiés que les seuls garçons geeks blancs. Ouvrir à des métiers bien rémunérés et qui emploient à toute la population n’est pas un pari, c’est une mesure de justice sociale.